ISBN : 2747578070

LE CACHEMIRE FACE À UNE VICTOIRE IMAGINÉE

Nathalène Reynolds




Introduction
La Vallée du Cachemire, qui avait initié à la fin des années 1980 une révolte contre l’autorité indienne, assiste impuissante au dialogue indopakistanais engagé au début de 2004, à la satisfaction d’une communauté internationale (1) encore préoccupée par une éventuelle confrontation nucléaire. Ainsi l’Union indienne, qui avait effectué son premier essai nucléaire en 1974, et la République Islamique du Pakistan, qui affirma un tel statut en 1998 (2) , semblent-elles progressivement renoncer à une propagande qui sous-tendit longtemps un nationalisme sourcilleux et une lecture particulière des grands événements de l’histoire du sous-continent enseignée sur les bancs des écoles et des universités. Les deux Etats accordent désormais la priorité aux enjeux économiques (3) et énergétiques, évoquant notamment la construction de gazoducs qui aboutiraient en territoire indien, l’un venant d’Iran via le Pakistan, l’autre qui commencerait son parcours au Turkménistan - à travers l’Afghanistan puis le Pakistan.
Les tribulations de l’ancien Etat princier du Jammu et Cachemire (4), plus connu sous le seul vocable de Cachemire, reviendraient-elles donc bientôt aux seuls historiens qui choisiraient d’en faire leur champ d’étude ? Les dirigeants séparatistes - originaires de la seule Vallée - qui tentèrent d’accompagner (faute de se hasarder à en réclamer la direction) le mouvement anti-indien qui, au milieu des années 1990, s’étendait aux districts à dominance musulmane de la Division - indienne - de Jammu (Rajouri, Poonch et Doda, ces deux dernières zones étant à faible majorité musulmane) se trouveraient-ils confrontés à un périlleux exercice ? Ne leur faut-il pas, en effet, reconnaître sinon leur culpabilité du moins leur responsabilité dans la continuation d’un combat qui s’avéra rapidement vain, tandis qu’ils refusèrent le plus souvent de remettre en cause - officiellement à tout le moins - les desseins d’un Pakistan qui, en accordant aide et assistance aux insurgés, s’engageait - selon la terminologie indienne - dans une guerre par procuration (5) ? Autre processus dont le Jammu et Cachemire fut le champ d’expérimentation : la diffusion - grâce à l’acquiescement des plus âgés - d’une lecture de l’histoire de cette région, laquelle se conformait aux thèses que les gouvernements pakistanais successifs s’attachèrent à vulgariser dès la fin de l’année 1947. La population musulmane de la partie indienne de l’ancien Etat princier du Jammu et Cachemire ne demanderait-elle pas aux dirigeants séparatistes (6) mais aussi aux leaders dominant la scène légale des comptes, alors qu’elle pourrait être conduite, pour surmonter le traumatisme né d’une longue lutte, à envisager la redécouverte de pages importantes de son histoire ? (7) Examinant d’un regard nouveau la théorie des deux nations (l’existence d’une nation hindoue et d’une nation musulmane) fondatrice de la République Islamique du Pakistan et la laïcité, clé de voûte de la République indienne, les musulmans du Jammu et Cachemire procéderaient-ils à la reconstruction d’une culture politique dont on a tenté de modifier le cours ?

De la fin du mythe d’un allié pakistanais dévoué ?
A la fin de l’année 2003, les observateurs s’étonnaient de ce que le Président-Général Pervez Musharraf osât envisager la remise en cause de l’un des thèmes de la nation pakistanaise par excellence. Le 18 décembre (2003), l’homme qui avait su conquérir les bonnes grâces américaines – suite aux dramatiques événements du 11 septembre 2001 - faisait une intervention remarquée. Il déclarait que son pays était prêt à abandonner une exigence jugée jusqu’alors fondamentale à un dénouement du conflit du Jammu et Cachemire recevable : l’application des résolutions adoptées par le Conseil de Sécurité de 1948 à 1949, et donc l’organisation d’un plébiscite dans les limites originelles de l’ancienne principauté. Islamab