ISBN : 9782296043114

VOYAGES EMPÊCHÉS

Francis Vanoye



La gare, le train, la salle de cinéma, le film sont voués au mouve- ment, au passage. La raison d'être commune au train et au film, c'est le défilement; celle de la gare et de la salle de cinéma est le passage des spectateurs-voyageurs. L'arrêt inopiné du train, l'interruption du défilement filmique constituent des désordres, de même que l'empêchement des voyageurs - quel que soit leur statut: travailleurs, émigrants, touristes - d'accéder au voyage, ou que celui des specta- teurs d'accéder au film. Le spectateur de cinéma n'est pas vraiment un voyageur immobile, comme on a pu le dire, pas plus que le passager d'un train: comme lui, comme le William Blake de Dead Man (Jim Jarmush, 1995), il voit défiler des paysages, surgir et disparaître des figures, comme lui, il est agité de mouvements intérieurs - sensations, émotions, images asso- ciées, pensées -, comme lui il est entré dans un lieu clos pour, plus tard, plus loin, en ressortir et retrouver l'air libre, le temps ouvert. Il n'est pas étonnant que le train et la gare aient constitué dès les débuts du cinéma des motifs plastiques, cinégéniques, des supports dramatiques privilégiés, pas étonnant que le train et le cinéma aient conjugué pour longtemps leurs mouvements.